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  Article d'André Michel sur "Dürer" dans La grande encyclopédie (1885-1902)
 
 

DÜRER (Albert), peintre-graveur allemand, né à Nuremberg le 21 mai 1471, mort le 6 avr. 1528. Sa famille était originaire d'Eytas en Hongrie où ses ancêtres – avaient vécu en paysans éleveurs ou pasteurs de bœufs et de chevaux. Son grand-père Antoine était allé s'établir à Gyula, ville voisine, et s'était mis en apprentissage chez un orfèvre; son père, Albert Dürer le Vieux, avait suivi la même vocation et, après avoir travaillé de son état chez plusieurs maîtres des Pays-Bas, il était venu, en 1455, s'établir à Nuremberg, l'un des foyers les plus intenses de l'art allemand à cette époque, et l'orfèvre Jérôme Holper, personnage important dans sa corporation, n'avait pas tardé à l'employer. En 1467, Albert avait épousé, à l'âge de quarante ans, Barbara, la fille de son patron, qui n'en avait que quinze; c'est de ce mariage que naquit celui qui devait être le plus grand et le plus profond artiste de l'Allemagne.

Il était le troisième enfant du ménage (qui en eut dix-huit) et fût élevé, comme il le rapporte dans la chronique de famille qu'il nous a laissée, dans les principes de la plus austère piété. «Sa recommandation quotidienne, écrit-il de son père, était pour nous exhorter à aimer Dieu et à nous conduire loyalement envers notre prochain.» Le petit Albert suivit les cours de l'école, puis il entra dans l'atelier paternel pour y apprendre le métier d'orfèvre; mais une inclination précoce et irrésistible le poussait vers la peinture. Nous avons des témoignages singulièrement éloquents de cette vocation. C'est d'abord son propre portrait dessiné par lui-même à la pointe d'argent, conservé à l'Albertina de Vienne et qui porte cette inscription de sa main: «J'ai fait ce portrait d'après moi-même, en me regardant dans un miroir, l'année 1484, quand j'étais encore un enfant.» C'est une œuvre extraordinaire et l'on peut dire miraculeuse, si l'on pense à l'âge de l'auteur. C'est ensuite un dessin à la plume de 1485 appartenant aujourd'hui au Cabinet des estampes et dessins du musée de Berlin et qui représente la Vierge assise sur un trône, tenant l'enfant nu contre sa poitrine et entourée de deux anges musiciens. Le dessin de quelques parties trahit encore une inexpérience juvénile; les influences des écoles rhénanes et des Pays-Bas y sont très sensibles, mais les anges sont délicieux et tout est pénétré de ferveur et de grâce.


Son père avait d'abord résisté au désir du jeune artiste; il lui accorda enfin l'autorisation souhaitée et, le 30 nov. 1486, Albert Dürer entrait en apprentissage chez Michel Wolgemuth, qui habitait une maison toute voisine du n° 493 de la rue Unter der Verten où logeait la famille Dürer, et qui travaillait comme graveur pour le célèbre imprimeur Antoine Koburger, parrain du petit Albert. L'élève ne demandait qu'à profiter des leçons de son maître, et il apprit de lui tout ce que le brave artiste pouvait lui transmettre de son métier de peintre et de graveur. Un dessin à la plume de 1489 représentant un cortège de cavaliers dans un grand paysage (musée de Brême) et un autre dessin du cabinet de Berlin (trois lansquenets appuyés sur leurs lances et parlant avec animation) montrent l'influence exercée par Wolgemuth pendant ces années d'apprentissage. Mais, à cette date, l'apprentissage allait prendre fin; Dürer était sur le point d'entreprendre de lointains voyages; il conserva du moins de fidèles relations avec son vieux maître, et deux portraits qu'il fit de lui, l'un à la pierre noire d'une vivacité saisissante d'expression (1516), à la collection Albertine, l'autre peint (Pinacothèque de Munich) avec une inscription disant que Michel Wolgemuth mourut le 30 nov. 1519 avant le coucher du soleil, témoignent de sa reconnaissance et de sa vénération. –

«Quand j'eus fini mon apprentissage, mon père me fit voyager; mon absence dura quatre ans, jusqu'à ce que mon père me rappelât. Je partis après Pâques en 1490; je revins après la Pentecôte en 1494», a écrit Dürer dans son journal. Avant son départ, il avait peint le portrait de son père (galerie des Offices à Florence), de forme encore anguleuse et dans la manière de Wolgemuth, mais très vivant d'expression. Il parait certain que le but de son voyage avait été Colmar où pouvait l'attirer la grande renommée de Martin Schongauer; mais il ne devait plus l'y trouver vivant. Il voyageait, s'arrêtant de ville en ville, travaillant dans les ateliers des maîtres; il passa vraisemblablement par Augsbourg, célèbre par ses ateliers de peinture, la magnificence de ses bourgeois et ses relations avec Venise. La pensée lui vint-elle de pousser jusqu'à Venise même par Innsbruck et Trente? On est fondé à le penser d'après certains indices et allusions de Dürer lui-même à ce premier voyage, et aussi d'après deux dessins à la plume de l'Albertine où l'influence de Mantegna et de Bellini est évidente. Il ne fit en tout cas qu'y toucher, et reprit sa route vers l'Allemagne et Colmar. Il travailla vraisemblablement à Colmar, à Bâle et à Strasbourg, chez les frères de Martin Schongauer; en 1494, quelque temps avant son retour à Nuremberg, on constate sa présence à Strasbourg; dans la seconde quinzaine de mai 1494, il était rentré au logis paternel.


Deux mois après il se mariait. «Et quand je fus de retour, écrit-il, Hans Frey entra en pourparlers avec mon père et me donna sa fille nommée Agnès qui reçut une dot de 200 florins; le mariage eut lieu le 14 juillet de l'an 1494.» C'est probablement pendant les pourparlers qui précédèrent le mariage que Durer peignit, pour être envoyé à sa fiancée, le portrait où il s'est représenté en costume élégant, tenant à la main un érynge à fleurs bleues (appelé en allemand Mannstreue «fidélité du mari ») avec cette inscription Minn Sach die gat als es oben schtat (mes affaires suivent le cours qui leur est assigné là-haut). Ce portrait, dont Gœthe a décrit avec admiration une copie aujourd'hui au musée de Leipzig, se trouve dans une collection particulière également à Leipzig, malheureusement très restauré. Un passage souvent cité d'une lettre de Pirkheimer a donné naissance à une légende, abondamment exploitée, en vertu de laquelle la femme de Dürer aurait été une sorte de Xantippe et, par son avarice et son caractère acariâtre, aurait fait le malheur du grand artiste. M. Thausing a voulu réhabiliter sa mémoire, et sans pouvoir le suivre ici dans son enquête, il faut au moins en enregistrer les très plausibles conclusions; Agnès Frey (Frau Dürerin) paraît donc avoir été une fidèle compagne: et le réquisitoire posthume que Pirkheimer a lancé contre elle doit être considéré comme un monument de partialité et de rancune que tous les actes connus de sa biographie s'accordent à démentir. Mais comme le thème prête beaucoup à la littérature, il est probable que l'histoire n'aura pas de sitôt raison de la légende. – Dürer a laissé plusieurs portraits de sa femme: nous citerons un dessin sommaire à la plume (à l'Albertine) avec cette mention: Mein Agnes; un autre à la pointe d'argent d'une admirable simplicité (musée de Brème); une aquarelle de 1500 (à l'Ambrosienne) où elle est représentée en riche bourgeoise de qualité; enfin un dessin à la pointe d'argent, d'exécution très précieuse, avec cette inscription: Albrech Dürerin (1504) (collection du Dr Blasius à Brunswick). Il faut convenir que l'expression dominante de ce dernier portrait n'est pas précisément une inaltérable douceur.


Parmi les œuvres de jeunesse de Dürer, il faut encore citeront Christ enfant à la détrempe sur parchemin (1493); des copies des gravures de Mantegna (Combats de Tritons et Bacchanale) (à l'Albertine), et une Mort d'Orphée (musée de Hambourg), dessinée sans doute d'après quelque maître italien (1490), mais marquée au coin de sa forte originalité; enfin un Enfant Jésus couché (d'après un autre maître italien, peut-être Lorenzo di Credi; collection du baron Schickler). – Deux maîtres surtout excitaient alors son attention, son étude, son admiration: Mantegna et Schongauer dont il rassembla et garda pieusement les dessins. Il n'avait pu rencontrer l'un ou l'autre à son premier voyage, Schongauer étant mort et Mantegna fixé à Mantoue, et quand, en 1506, Dürer projetait d'aller le voir, la mort subite du vieux peintre, mit à néant cette espérance. Il avait en effet au plus haut degré le respect des maîtres; il professait que «pour devenir un grand peintre, un éminent artiste, il faut copier assidûment les œuvres des bons maîtres jusqu'à ce que l'on ait acquis une complète liberté de main». Mais, par-dessus tout, il avait le respect et l'amour de la nature. À plusieurs reprises, il recommande de reproduire «soigneusement les caractères que le Créateur a donnés à la nature», de «ne rien retrancher dans les données fournies par elle et de ne rien y ajouter qui soit incompatible avec ses enseignements». Il a accumulé les études de nu (Bain de femmes, 1496; musée de Brème, dessin à la plume); études à la plume du British Museum sur les proportions du corps humain (1500); études d'animaux, chevaux, chiens, cerfs, etc., aux Uffizi, à l'Ambroisienne, à Bâle, à Londres, à l'Albertine; à Paris; paysages, croquis de voyage, vues de villes, de moulins, d'arbres, de plantes, etc., à Londres, collection Malcolm et British Museum, à Brême, à l'Albertine, au Cabinet des estampes de Berlin, au Louvre, à la Bibliothèque nationale, etc. «Regarde attentivement la nature, écrit-il encore, dirige-toi d'après elle et ne t'en écarte pas, t'imaginant que tu trouveras mieux par toi-même. Ce serait une illusion; l'art est vraiment caché dans la nature; celui qui peut l'en tirer le possédera. Plus la forme de ton œuvre est semblable à la forme vivante, plus ton oeuvre parait bonne.


Cela est certain. N'aie donc jamais la pensée de faire quelque chose de meilleur que ce que Dieu a fait, car ta puissance est un pur néant en face de l'activité créatrice de Dieu... Aucun homme ne peut exécuter une belle figure en ne consultant que son imagination, à moins qu'il n ait peuplé sa mémoire d'une multitude de souvenirs. L'art cesse d'être uniquement le produit du sentiment individuel; transmis et appris, il se féconde lui-même. Le mystérieux trésor amassé au fond du cœur se répand alors au moyen des œuvres, au moyen de la nouvelle créature que l'on tire de son sein en lui donnant une forme sensible...» Toute son esthétique est enfermée dans ces lignes. Il a voulu à certaines heures agrandir et élargir le domaine de l'art allemand en lui annexant la beauté que les maîtres italiens avaient remise en honneur; mais il était trop de son pays et de sa race pour que son intransigeant naturalisme et sa rude sincérité pussent s'assouplir aux belles manières ultramontaines. C'est quand il a regardé directement de son œil profond et clair la nature vivante, que, fort de sa science laborieusement et consciencieusement acquise, maître de tous ses moyens, il a donné la mesure de son génie et répandu dans ses œuvres, avec le sentiment intense de la vie, tout le «trésor mystérieux» de son imagination puissante et féconde, de sa pensée noblement inquiète, de son cœur sincère et loyal.


II est impossible d'énumérer ici et encore moins d'étudier cette œuvre immense: peintures, gravures sur bois, estampes au burin et à l'eau-forte, dessins. Nous mentionnerons les plus importantes et, autant que possible, dans l'ordre chronologique. – L'un de ses premiers grands tableaux (sur toile à la détrempe) est le triptyque du musée de Dresde (no 1869), la Vierge avec l'enfant, Saint Sébastien et Saint Antoine, exécuté sous l'influence de Mantegna. C'est aussi sous cette influence qu'il peignait, en 1500, Hercule tuant les oiseaux du lac Stymphale du Musée germanique de Nuremberg (n° 184), dont le musée de Darmstadt possède une esquisse; ce sont des œuvres fortes et curieuses, mais plus étranges que belles, où son originalité ne s'est pas encore complètement dégagée. On en trouve, à cette date, la manifestation beaucoup plus significative dans la suite de gravures sur bois l'Apocalypse, composée de quinze pièces (Bortsch, 6075), publiées pour la première fois en 1498, mais auxquelles il travaillait dès 1495.


Il en publia en même temps une édition allemande (Die heimliche Offenbarung Johannis) et une latine (Apocalipsis cum figuris). Le texte de l'édition allemande était emprunté à la bible de Koburger et se termine ainsi: Fin du livre contenant les mystérieuses révélations de saint Jean, apôtre et évangéliste, imprimé à Nuremberg par Albert Dürer, peintre, l'an MCCCCXCVIII après la naissance du Christ. Dans les Quatre Cavaliers de l'Apocalypse par exemple, qui sont la quatrième estampe de la série, on trouve déjà toute la profondeur d'invention, toute l'énergie d'expression dos plus belles oeuvres du maître. – Comme peintre, son originalité se manifesta dès 1500 dans l'Ensevelissement du Christ (n° 238 de la Pinacothèque de Munich), dont i1 fit deux ans plus tard une variante, connue sous le nom de tableau d'Autel des Holzschuer (n° 18 du Musée germanique de Nuremberg); dans le triptyque (nos 240-242 de la Pinacothèque de Munich) représentant la Nativité avec, sur les volets, les portraits des donateurs, Etienne et Lucas Baumgartner, en cavaliers revêtus de l'armure, admirables portraits (célèbre sous le nom de l'Autel des Baumgärtner), provenant de l'église Sainte-Catherine de Nuremberg et qui date de 1503. – Pour la force dramatique de la composition, la Mise au tombeau de Munich est surtout caractéristique et tout à fait dans les traditions pathétiques du vieil art allemand.


Dans l'Autel Baumgärtner pour lequel il fit un grand nombre d'études et d'esquisses, il exprima pour la première fois avec un charme pénétrant le type de la Vierge, douce fille allemande, auquel il devait si souvent revenir et dont la beauté, tout intérieure et morale, se trahit plus par le reflet d'une âme pure et tendre que par la régularité ou l'élégance des traits. C'est de cette époque que datent également quelques portraits de grand prix: celui d'Oswalt Krell, 1499 (n° 236 de la Pinacothèque de Munich); son propre portrait de 1498 au musée de Madrid et celui de 1500 (no 239 de la Pinacothèque de Munich) avec cette inscription: Albertus Durerus Noricus ipsum me propriis sic effingebam coloribus œtatis anno XXVIII, signé du monogramme qu'il avait adopté depuis 1497, et ou il s'est représenté de face, des longs cheveux retombant en boucles soyeuses sur ses épaules, la main droite (cette main dont Camerarius écrivait qu'on ne pouvait rien voir de plus beau!) posée sur la poitrine, les doigts longs et nerveux jouant dans la fourrure de son manteau; le portrait d'un inconnu (n° 237 de Munich), celui d'une femme (Augsbourg); le second portrait de son père (collection du duc de Northumberland, copies à Munich et à Francfort); celui d'un homme de qualité, où l'on a proposé de reconnaître le grand-électeur Frédéric de Saxe (n° 5576 du musée de Berlin) et les portraits au crayon des cabinets de Berlin, des collections Dumesnil, Mitchel, Haussmann, à Paris, Londres et Brunswick. – La Vierge allaitant son enfant (1503), n° 1525 de la galerie du Belvédère à Vienne, trahit une nouvelle influence, celle du graveur Jacopo de Barbari que Dürer avait sans doute connu lors de son premier passage à Venise et qui venait de s'établir à Nuremberg; on en trouverait encore les traces dans l'Adoration des mages (1504) du musée des Offices, comme dans la série des douze dessins de l'Albertine, appelée la Passion verte (1504) (à cause de la couleur du papier), dans le Salvator mundi de la collection Eugène Félix de Leipzig, et dans les figures des volets de Saint Onuphre et Saint Jean-Baptiste de la galerie de Brême.


En 1507, avant la mois de juin, Dürer était de retour à Nuremberg et il y achevait son Adam et Eve, dont il avait commencé les études (le British Museum en possède trois) à Venise, où il disposait de plus beaux modèles et de facilités exceptionnelles pour ses études de nu. Déjà en l504 il avait fait sur le même sujet une estampe qui au point de vue technique est un chef-d'œuvre; les musées de Mayence, Florence (palais Pitti) et Madrid conservent également un Adam et Eve et chacun prétend posséder l'original, qui à peu près sûrement se trouve à Madrid. – Les années suivantes virent se produire plusieurs tableaux importants c'est en 1508, pour le grand-électeur Frédéric le Sage, le Martyre des dix mille vierges de la galerie impériale de Vienne; en 1509, l'Assomption de la Vierge, triptyque, communément appelé l'Autel de Heller, malheureusement détruit dans un incendie, que lui avait commandé le riche marchand drapier Jacob Heller de Francfort, et dont le musée de Francfort possède une copie excellente; en 1509 également, il achève la délicieuse Madone avec l'enfant sur les genoux, entourée d'anges musiciens et de saint Joseph modestement relégué à l'écart (aquarelle) au musée de Bâle; en 1591, le célèbre tableau de la Trinité avec tous les saints (dont le musée du duc d'Aumale à Chantilly possède une esquisse) qui se trouve au Belvédère de Vienne; c'est le mieux conservé peut-être de tous les tableaux d'Albert Dürer. On y lit cette inscription sur un cartouche que le peintre lui même tient, dans un coin du tableau, à droite, derrière l'assemblée des papes, des empereurs et des personnages qui contemplent la trinité resplendissant au haut du ciel au milieu des saints, des patriarches et des élus: Albertus Durer Noricus faciebat anno a Virginis partu 1511; en 1512, il peignait la charmante petite Vierge au lis de la galerie et celle non moins charmante du Belvédère (no 1526), connue sous le nom de la Vierge à la poire (la peinture en est extraordinairement limpide, douce et harmonieuse); en 1510, il avait peint en grisaille, avec une admirable finesse et une rare vigueur, un diptyque dont un volet, Samson terrassant les Philistins, est aujourd'hui au musée de Berlin, et de 1510 à 1512 les deux portraits colossaux de Charlemagne et de Sigismond (pour le château do Nuremberg) que l'on peut voir aujourd'hui au Musée germanique. C'est pour ces deux tableaux qu'il entreprit une série d'études détaillées (dessins à la plume, à l'encre bleue et lavis de différentes couleurs) d'après les loyaux de l'Empire.


Depuis 1512, Dürer, qui n'avait pas trouvé dans la peinture les profits ni la renommée qu'il croyait avoir mérités, ralentit sensiblement cette active production; les rares tableaux qu'il exécuta jusqu'en 1520 ne sont comparables pour la dimension où la valeur à ceux que nous venons d'énumérer. «A une gamme de couleurs claires et brillantes, dit Thausing, succède un coloris sec et terne. L'emploi large et sommaire des couleurs à l'huile ne permet plus guère au peintre d'obtenir les tons fondus des anciennes couleurs a tempera.» C'est seulement après 1520, quand il a vu, dans le voyage qu'il fit avec sa femme, de juil. 1520 à 1521 dans les Pays-Bas, les chefs-d'œuvre des maîtres flamands, qu' il se reprendra à peindre; mais, pendant ces années intermédiaires, il laissa inachevés plusieurs projets de grands tableaux dont ses dessins ont conservé la première pensée (comme la Chute des anges du British Museum); il termina en 1518 la Lucrèce (no 244 de la Pinacothèque de Munich) pour laquelle il avait, dès 1508, déjà fait plusieurs études et dessins (Albertine); en 1516, il avait peint la portrait de Michel Wolgemuth (no 243 de la Pinacothèque) dont les esquisses sont également antérieures.


C'est en 1542 qu'il commença à travailler pour l'empereur Maximilien dont il fut l'artiste de prédilection, qui le combla d'égards, prit plaisir à venir le voir travailler, et alla jusqu'à demander pour son peintre au conseil de Nuremberg une exemption d'impôts de cent florins. C'est pour l'empereur poète et artiste, si naïvement sensible au plaisir d'assister à sa propre glorification, que Dürer entreprit les importants travaux du Triomphe. On le divisa en deux parties: l'Arc triomphal (Ehrenpforte) dont le dessin fut confié à Dürer en 1542 et dont Johannes Stabius rédigea les inscriptions, et le Cortège triomphal. L'Arc triomphal, terminé en 1545 (Bortsch, 438), se compose de quatre-vingt-douze planches qui, jointes ensemble, ont 3m409 de haut, sur 2m922 de large. II est disposé, comme dit l'inscription, «à la façon des ares de triomphe érigés en l'honneur des empereurs de l'ancienne Rome». Jamais on n'avait conçu ni exécuté de gravure sur bois de cette dimension. Dürer traça à la plume et au pinceau les dessins sur les planches; Hieronymus Andreæ exécuta les tailles avec une surprenante précision. La seconde partie, comprenant le Cortège triomphal (improprement appelé le Char triomphal), fut confiée à plusieurs mains. Hans Burgkmair en eut la plus grande partie. Le Cortège ne fut d'ailleurs jamais terminé, Maximilien étant mort trop tôt. – Mais cette œuvre gigantesque ne saurait être comparée aux dessins à la plume que Dürer composa pour le Livre de prières de Maximilien (bibliothèque royale de Munich). La fantaisie la plus libre et souvent la plus profonde, les ornements inattendus et les plus gracieux dans leur bizarrerie, le sentiment le plus intense de la nature, les intuitions les plus saisissantes de l'imagination la plus germanique y sont prodigués à chaque page; on y voit revivre quelque chose du mystère de l'ancienne ornementation des peuples septentrionaux, telle qu'on la trouve d'une part dans les bijoux scandinaves, et de l'autre dans les entrelacs des manuscrits irlandais. – Mais c'est peut-être le burin à la main que Dürer fut le plus vraiment lui-même, et manifesta, avec la plus farouche énergie, la liberté la plus grande et la subtilité la plus profonde, sa pensée et son génie.


 
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